Quand les virevoltants roulent à travers les grands espaces, quand la poussière marque les visages sérieux, quand les coups de feu partent au « high noon », alors c’est qu’il est temps de mettre son chapeau et de partir à la conquête de l’ouest. Enfin qu’il était temps, puisque les Etats-Unis s’institutionnalisent et la fin des hors-la-lois approche à grands pas.
La fin d’année 2018 marque l’arrivée de deux oeuvres de western crépusculaire : le film Les Frères Sisters de Jacques Audiard, et le jeu vidéo Red Dead Redemption 2 développé par Rockstar Games. Alors que Jacques Audiard nous offre un film adapté du roman The Brothers’ Sisters de Patrice DeWitt, les studios Rockstar Games apportent après une dizaine d’année d’attente la suite au mythique Red Dead Redemption sorti en 2010. Ces deux réalisations sont de gros projets. Le film a un budget de 38 millions de dollars au casting 5 étoiles constitué de John C. Reilly, Joaquin Phoenix, Jake Gillenhaal et Riz Ahmed ; le jeu quant à lui est produit par les créateurs de la licence GTA, une des plus grosses du jeu vidéo moderne.
Ces deux œuvres frappent non seulement par l’attention apportée à l’esthétique, à la musique et à l’histoire, mais aussi par l’alchimie qui se produit entre tous ces éléments et transforment ces créations en une sorte de poésie hommage au western de la fin du XIXe siècle.
Eli et Charlie sont les frères Sisters, un duo de tueurs engagés par le commodore pour retrouver Hermann Kermit Warm, un chimiste visionnaire ayant découvert la formule permettant de trouver l’or dans les rivières.
Arthur Morgan est un hors-la-loi tout ce qu’il y a de plus classique : tueur, voleur, il vit avec la bande de Dutch Van Der Linde et tentent ensemble de trouver assez d’argent pour fuir les ennuis qu’ils s’attirent constamment.
Elie, Charlie et Arthur sont mués par un fait commun : leur rapport à la famille. Dans un paysage où les meurtres sont quotidiens, où le vol est une façon de vivre comme une autre, leur famille semble être la seule bouée à laquelle se raccrocher.
Eli est le grand frère, il cherche à veiller sur Charlie, alcoolique, presque fou, pour qui la vie ne vaut rien. Il cherche à sauver son frère de cette vie qu’il mène et surtout, le sauver de lui même. Eli, comme Arthur, cherche à quitter cette vie pour trouver un paradis fait de calme et de tranquillité pour eux et leur famille ; Charlie, lui, sait que la seule façon de sortir de cette vie est la mort. Arthur se raccroche à sa bande, et particulièrement Dutch Van Der Linde, qui fait office de père pour lui. Dans le jeu, chaque personnage a une histoire, une importance toute particulière aux yeux d’Arthur et par extension, du joueur.
Ces œuvres sont des hommages, mais pourtant elles se placent assez loin du western traditionnel. Chez Audiard, la violence est crue, pure, à la manière de la scène d’ouverte. Contrairement au western spaghetti qui n’hésitait pas à faire monter la tension avant un duel, la scène d’ouverture des frères Sisters frappe par son esthétisme. Un plan large, fixe, sans cut : les personnages échangent des coups de feu au loin dans la nuit étouffante. Dans le film de Jacques Audiard, la tension n’est pas présente dans un montage et des plans serrés comme pourraient l’être les films de Sergio Leone, mais elle se trouve dans les relations entre les personnages, dans la tension des scènes de combats qui sont froidement réalistes.
Dans Red Dead Redemption 2 le joueur parcourt les États-Unis d’Est en Ouest tout en incarnant Arthur Morgan. Il ne s’agit pas seulement de combats, mais bien de contempler l’environnement dans lequel les personnages évoluent. On a envie de sortir des routes, de perdre son temps à chasser des animaux légendaires, à regarder un théâtre dans Saint Denis ou tout simplement écouter ce que les personnages de la bande ont à nous dire, quitte à laisser tout simplement le jeu évoluer. Il ne faut pas avoir peur de poser la manette et de laisser le jeu déployer ce qu’il a à nous offrir. Les scènes de fusillades sont appuyées d’une musique rythmée où le jeu prend une toute autre dimension. Le gameplay de ces phases rejoint la sensation d’armes anciennes, et témoigne d’un étonnant soucis du détail. Détail que l’on retrouve aussi dans la sensation de chevaucher, dans le braquage d’une banque ou le détournement d’une diligence ; chaque aspect est travaillé pour donner une impression de réalisme indéfectible.
En somme, Red Dead Redemption est un hymne à la lenteur, celle qui permet de prendre du recul sur les personnages et la vie aux États-Unis du début du XIXe siècle. Cette même vie injuste et dure ; ces films en sont l’image. Si un personnage vient à mourir, ce sera sans pincette. La mort n’a jamais autant fait partie de la vie. Nous sommes donc face à des personnages aux questionnements internes, des personnages qui doutent, qui cherchent à fuir la mort qu’ils sèment sans pour autant avoir l’illusion qu’ils pourront y échapper.
Ces deux œuvres nous montrent les revers de la liberté. On a l’impression de pouvoir chevaucher dans les grands espaces, se faire justice soit-même et vivre de ce que l’on chasse. Pourtant il s’agit là d’une illusion, puisque toute cette quête n’a pour objectif que la fuite de sa propre mort et la recherche d’un paradis perdu. Ce même paradis que les Etats-Unis prétendent être, cette « destinée manifeste » qui apparaît aux yeux du spectateur comme du joueur dans un déclin qui ne se cache plus. Face à cette vision réaliste de la vie, la seule véritable beauté se trouve dans la recherche de la lenteur, dans l’appréciation des paysages et des musiques. Pour le spectateur / joueur, la poésie des paysages et les liens familiaux sont les clés véritables à la pleine compréhension des enjeux de ces œuvres.
Diane MACHURON
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